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PORT-ROYAL

la Pentecôte. Un autre capucin, le Père Bernard, de beaucoup plus âgé que le précédent et d’un air tout à fait austère, étant venu prêcher, la jeune abbesse osa s’ouvrir à lui de ses désirs de réforme ; mais celui-ci, en homme peu éclairé, prit acte à l’instant des paroles de l’abbesse pour prêcher si sévèrement la Communauté, qu’il choqua et révolta les bonnes sœurs : autre écueil déjà par excès. La prieure représenta, fort judicieusement en apparence, à la mère Angélique que c’était une ferveur de dévotion qui la tenait pour lors et qui la quitterait peut-être avant trois mois, qu’elle allait tout bouleverser, cependant ; et autres raisons de bon sens naturel que chacun eût trouvées. L’abbesse découragée ne songeait plus qu’à laisser l’abbaye, pour se faire ailleurs simple religieuse. Là-dessus, le Père Pacifique, digne et vieux capucin, qui justifiait tout à fait son nom et qui visitait parfois le monastère, survint et fut pris pour juge ; le Père Bernard, l’autre capucin plus emporté, était présent. Le Père Pacifique, bien que plus spirituel et mis plus tard au rang des Bienheureux, cherchait à concilier humainement, à ajourner, à ne rien vouloir d’impossible, et le Père Bernard, bien que moins religieux, parlait plus haut et plus dans le sens prochain de Dieu, comme le remarque la mère Angélique en son récit.[1] Le Père Pacifique entrait dans l’idée qu’Angélique quittât l’abbaye ; le Père Bernard exigeait qu’elle tînt bon et emportât la réforme d’assaut. De là, de nouvelles angoisses. Elle se jetait alors dans des austérités extraordinaires, et, comme en désespoir d’agir au dehors, elle se tournait contre elle-même. C’était peu de ne se vêtir que de drap grossier, de ne coucher que sur la couche la plus dure ; elle se

  1. Ce qui le fait comparer, par le bon janséniste Guilbert, à l'ânesse de Balaam, qui disait bien sans savoir.