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PENSÉES D’AOUT.

Comme un abbé flatteur en son pastel changeant [1] :
C’est le vrai. Tout village a son maire suprême,
Son curé dont le poids n’est plus partout le même,
Son médecin qui gagne… Après, au-dessous d’eux,
En un rang moins brillant, aussi moins hasardeux,
Est le maître d’école. Un maire a ses naufrages ;
Quelque Juillet arrive et veut de nouveaux gages ;
Dix ans, quinze ans peut-être, on garde son curé,
Mais l’évêque le tient et le change à son gré ;
Le magister demeure. Il n’a, lui, ni disgrâce
A craindre, ni rival. Le curé, face à face,
Voit croître chaque jour l’esprit-fort, le docteur.
Le docteur suit sa guerre avec le rebouteur,
Dont main secret encor fait merveille et circule :
Plus d’un croit à l’onguent, sur le reste incrédule.
Le magister n’a rien de ces chétifs combats.
Et d’abord, il est tout : la règle et le compas,
La toise est dans ses mains ; géomètre, il arpente
Et sait les parts autant que le notaire. Il chante
Au lutrin, et récite au long la Passion.
Secrétaire au civil, si quelque question
Arrive à l’improviste au nom du ministère,
Combien d’orge, ou de lin, ou de vin, rend la terre ?
Le maire embarrassé lui dit : Voyez! Il va,
Il rencontre un voisin qui guère n’y rêva,
Et là-dessus le prend : l’autre répond à vue
De pays, et voilà sa statistique sue.
Le chiffre aussitôt part et remplit son objet ;
Il fait autorité, l’on en cause au budget.
Mais est-ce par hasard quelque inspecteur primaire,
Novice, qui de loin s’informe près du maire ?
C’est mieux : le magister tout d’abord en sait long,
Et lui-même à souhait sur lui-même répond.
Il ne se doute pas, d’aplomb dans sa science,
Qu’un jour de ce côté viendra sa déchéance ;
Que cet œil scrutera ses destins importants ;
Il ne s’en doute pas ;… qu’il l’ignore long-temps !
La marge est longue encore, — En hiver, son école

  1. Delille, en son Homme des Champs, a fait du maître d’école de village un portrait arrangé, plein d’ailleurs de détails piquants et spirituels.