Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/86

Cette page a été validée par deux contributeurs.
76
POÉSIES


Peut-elle refleurir lorsqu’a soufflé l’orage,
Et qu’en nos cœurs l’orgueil, debout, a dans sa rage
Mis le pied sur l’autel ?
On est bien faible alors, quand le malheur arrive,
Et la mort… faut-il donc que l’idée en survive
Au vœu d’être immortel !

J’ai vu mourir, hélas ! ma bonne vieille tante,
L’an dernier ; sur son lit, sans voix et haletante,
Elle resta trois jours,
Et trépassa. J’étais près d’elle dans l’alcôve ;
J’étais près d’elle encor, quand sur sa tête chauve
Le linceul fit trois tours.

Le cercueil arriva, qu’on mesura de l’aune ;
J’étais là… puis, autour, des cierges brûlaient jaune,
Des prêtres priaient bas ;
Mais en vain je voulais dire l’hymne dernière ;
Mon œil était sans larme et ma voix sans prière,
Car je ne croyais pas.

Elle m’aimait pourtant… ; et ma mère aussi m’aime,
Et ma mère à son tour mourra ; bientôt moi-même
Dans le jaune linceul
Je l’ensevelirai ; je clouerai sous la lame
Ce corps flétri, mais cher, ce reste de mon âme ;
Alors je serai seul ;

Seul, sans mère, sans sœur, sans frère et sans épouse ;
Car qui voudrait m’aimer, et quelle main jalouse
S’unirait à ma main ?…
Mais déjà le soleil recule devant l’ombre,
Et les rayons qu’il lance à mon rideau plus sombre
S’éteignent en chemin…