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DE JOSEPH DELORME

L’onde en l’appelant se balance
Devant la proue ; amis, silence !
Ne chantez pas, gais matelots !

Demain je quitte le rivage
Où dormit longtemps mon radeau ;
Là-bas m’attend plus d’un orage,
Plus d’un combat, quelque naufrage
Sur un banc de sable à fleur d’eau.

Oui, le naufrage ! on touche, on sombre ;
L’ouragan seul entend vos cris ;
Puis le matin vient chasser l’ombre ;
Sur le ciel bleu pas un point sombre,
Sur l’abîme pas un débris.

Ne chantez pas ! quand même encore,
Sur mainte mer, sous maint climat,
Aux feux du soleil qui le dore,
Battu de la brise sonore,
Mon pavillon, au haut du mât

Déployant sa flamme azurée
Et ses immortelles couleurs,
Recevrait de chaque contrée,
En passant, la perle nacrée,
L’ivoire, l’encens ou des fleurs ;

Quand, ma voile au loin reconnue,
On verrait la foule à grands pas
S’agiter sur la grève nue,
Les forts saluer ma venue,
Ô mes amis, ne chantez pas !