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DE JOSEPH DELORME

Et bientôt, pour saisir la proie insaisissable,
En idée on franchit monts et plaines de sable
Sur un coursier fumant.

On s’élance, on retombe, on brûle sous l’ombrage ;
Le cœur saigne et gémit ; en lui-même est l’orage
Dont les coups l’ont blessé.
La nuit, point de sommeil ; et l’épouse inquiète,
Passant sa douce main sur le front du poëte,
Lui dit : « T’ai-je offensé ? »

Parfois en un vallon où règne le silence,
Où l’ardeur qu’à midi d’aplomb le soleil lance
Meurt sur un vert rideau,
L’on voit du sein d’un roc, qui s’ouvre en grotte obscure,
Parmi la mousse et l’herbe, avec un long murmure
Jaillir un courant d’eau.

Pourtant jamais aux bords de l’onde murmurante,
Malgré le poids du jour et la soif dévorante,
Ne boit le voyageur ;
Jamais un front de vierge, incliné sur la rive,
N’y mire, en se lavant, sa parure naïve
Et sa chaste rougeur.

Car qu’importe la mousse, et l’ombre, et le silence,
Et qu’en effleurant l’onde un souffle frais balance
Les rameaux sur son cours ?
Cette onde dans sa source est comme du bitume ;
Elle brûle et dévore, et toujours elle écume,
Et bouillonne toujours.