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POÉSIES

Les soirs d’hiver, autour du foyer qui pétille,
À haute voix je lis à ma jeune famille
Les récits d’autrefois.

Les champs, l’obscurité, des enfants, une femme,
Nul regret du passé, nul désir en mon âme…
Ainsi je vais rêvant…
Mais j’ai vu du faubourg fumer les cheminées ;
J’ai regagné la ville aux nuits illuminées
Et le pavé mouvant.

Adieu l’illusion ! qu’elle était vaine et folle !
Ce souffle matinal, ce parfum qui s’envole,
Ce gazon du chemin,
Cette main à baiser, à presser dans la mienne,
Tout cela, pour un jour, c’est enivrant ; mais vienne,
Vienne le lendemain !

L’amour passe, et la fleur, où d’abord l’œil se pose,
Pâlit sous le regard et n’est plus une rose ;
Le calice a jauni.
Et puis, quand l’homme est seul, loin du bruit et du monde,
Du profond de son cœur plus haut s’élève et gronde
La voix de l’Infini.

Parle, que nous veux-tu, voix puissante et bizarre ?
Tantôt c’est un soupir, tantôt une fanfare,
Un chant, un cri de nuit ;
Tantôt j’entends des chars emportés par des fées,
Et tantôt c’est la Gloire agitant des trophées
Qui passe et qui s’enfuit.

L’enclos qu’on aimait tant devient triste ; on dessine
Un palais fantastique, et, comme aux jours d’Alcine,
Des lieux d’enchantement ;