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DE JOSEPH DELORME

Que le bruit de mes pas sur les feuilles séchées,
Réveillant mille voix en mon âme cachées,
Berce et calme mes sens ;

Que je songe au bonheur, à ce flottant nuage
Qu’un rayon de soleil de loin dore au passage
Et qu’emporte le vent ;
Que je songe à la vie, à ces jeunes années
Si fraîches d’espérance et si vite fanées ;
Souvent, alors, souvent,

Las de m’être égaré de clairière en clairière,
Et d’avoir du long bois côtoyé la lisière,
Si soudain au détour
J’aperçois, sur le seuil d’une cabane blanche,
À table, un vigneron, joyeux comme au dimanche,
Et ses fils à l’entour,

Je me dis : Ô bonheur ! pourtant j’en étais digne !
À l’ombre d’un pommier, au pied de cette vigne,
Et sous ce petit mur,
Quelques amis, l’étude, à mon âme calmée
Suffisaient ; oui, c’est là près d’une épouse aimée
Qu’il fallait vivre obscur.

Je dis, et, tout marchant, je caresse mon rêve :
Ma femme est jeune et belle, et son amour m’élève
Des fils qui me sont chers ;
Ma maison au hameau, parmi toutes, est celle
Où vous voyez un toit dont l’ardoise étincelle,
Et des contrevents verts.

Les matins de printemps, quand la rosée enivre
Le gazon embaumé, je sors avec un livre
Par la porte du bois ;