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POÉSIES


Pourtant je m’étais dit : « Courage !
« Osons vivre, sachons souffrir ;
« Soyons homme, et si vient l’orage,
« Tant mieux, luttons, dût sous sa rage
« L’esquif en éclats s’entr’ouvrir. »

Projets d’enfant ! sagesse antique !
J’ai beau dans ma simplicité
Jurer Mentor et le Portique ;
Sans cesse une ombre fantastique
Me rend ce bord que j’ai quitté.

De nuit, ô Phébé, quand tu n’oses
Éclairer qu’à demi les flots,
Comme une corbeille de roses
Au berceau d’Aphrodite écloses,
Je crois voir nager ma Délos.

Ces mêmes plages mensongères
Reviennent encor voltigeant,
Phébé, dans ces vapeurs légères
Qui parfois semblent des bergères
Dansant à ton autel d’argent.

Parmi les rougeurs de l’aurore
Chaque matin je crois les voir ;
Le soleil me les montre encore
Dans ces nuages que lui dore
Au couchant la pourpre du soir.

À ma vision point de trêve !
Jusque sous des cieux obscurcis,
À travers la brume, je rêve
Au lieu de bosquets quelque grève
Triste, bruyante, aux flancs noircis.