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NOTES ET SONNETS.


Qui, comme un ami sûr, nous ramenez au banc
Devant le seuil, au soir, où la famille attend,
Soyez tout mon sentier et ramenez ma vie !



Sic ego sim, liceatque caput candescere canis !…
Tibulle.


On sort ; le soir avance et le soleil descend ;
Le Jura déjà monte avec son front puissant :
On traverse vergers, plantages sans clôture,
Négligence des prés qu’enlace la culture.
On arrive au grand pont que projeta l’aïeul,
— Vainement, — que, syndic, le père acheva seul.
On s’enfonce au grand bois, chênes aux larges voûtes :
On admire au rond-point où s’égarent huit routes.
Tout au sortir de là, l’ancien toit apparaît,
Dont l’ami si souvent nous toucha le secret,
Manoir rural, pourtant à tourelle avancée ;
Et l’ami nous redit son enfance passée,
Ses jeux, l’école aussi, la fuite, le pardon ;
Les jours dans le ravin à lire Corydon ;
Les immenses noyers aux branches sans défense,
Plus immenses encor quand les voyait l’enfance.
On s’assied, on soupire, avec lui l’on renaît,
On revole au matin que la fleur couronnait,
Et, tandis que le cœur distille sa rosée,
L’œil en face se joue à la cime embrasée
Du Mont-Blanc, dernier feu, si grand à voir mourir !
Mais il faut s’arracher, de peur de s’attendrir.