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DE JOSEPH DELORME

Que ton aile se joue aux flancs des noirs nuages,
Lutte avec les éclairs, ou qu’à plaisir tu nages
Dans un éther serein ;

Poussant ton vol sublime et planant, solitaire,
Entre les voix d’en haut et l’écho de la terre,
Dis-moi, jeune vainqueur,
Dis-moi, nous entends-tu ? la clameur solennelle
Va-t-elle dans la nue enfler d’orgueil ton aile
Et remuer ton cœur ?

Ou bien, sans rien sentir de ce vain bruit qui passe,
Plein des accords divins, le regard dans l’espace
Fixé sur un soleil,
Plonges-tu, pour l’atteindre, en des flots de lumière,
Et bientôt, t’y posant, laisses-tu ta paupière
S’y fermer au sommeil ?

Oh ! moi, je l’entends bien ce monde qui t’admire.
Cri puissant ! qu’il m’enivre, ami ; qu’il me déchire !
Qu’il m’est cher et cruel !
Pour moi, pauvre déchu, réveillé d’un doux songe,
L’aigle saint n’est pour moi qu’un vautour qui me ronge
Sans m’emporter au ciel !

Comme, un matin d’automne, on voit les hirondelles
Accourir en volant, au rendez-vous fidèles,
Et sonner le départ ;
Aux champs, sur un vieux mur, près de quelque chapelle,
On s’assemble, et la voix des premières appelle
Celles qui viennent tard.

Mais si, non loin de là, quelque jeune imprudente,
Qui va rasant le sol de son aile pendante,
S’est prise dans la glu,