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NOTES ET SONNETS.

Lui servant l’abondance et le sourire affable,
Et même, s’il s’absente, il craint de l’oublier :

Il garnit, en partant, son bahut de noyer :
La jatte de lait pur et le miel délectable,
Près du seuil sans verrous, attendent sur la table,
Et le pain reste cuit aux cendres du foyer.

Soin touchant ! doux génie ! ainsi fait le Poëte :
Son beau fruit le plus mûr, sa fleur la plus discrète,
Il l’abandonne à tous ; il ouvre ses vergers.

Et souvent, lorsqu’ainsi vous savourez son âme,
Lorsqu’au foyer pieux vous retrouvez sa flamme,
Lui-même il est parti vers les lieux étrangers !


SONNET

imité de Ruckert


Et moi je fus aussi pasteur en Arcadie ;
J’y fus ou j’y dois être, et c’est là mon berceau.
Mais l’exil m’en arrache : à l’arbuste, au roseau
Je vais redemandant flûtes et mélodie.

Où donc est mon vallon ? Partout je le mendie.
Une femme aux doux yeux qui montait le coteau :
« Suis-moi, dit-elle, allons à ton vallon si beau. »
Je crois ; elle m’entraîne et fuit : ô perfidie !