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NOTES ET SONNETS.


Tout ce que d’ici l’œil embrasse et va saisir,
Miroir du chaste rêve, horizon du désir,
Autel à vos âmes sereines ;
Là-bas aussi Montreux, si tiède aux plus souffrants,
Et fidèle à son nom ce doux nid de Clarens,
Où l’hiver même a ses haleines ;

Oui, tout !… j’en comprends tout, je les aime, ces lieux ;
J’en recueille en mon cœur l’écho religieux
S’animant à vos voix chéries,
À vos mâles accords d’Helvétie et de ciel !
Car vous gardez en vous, fils de Tell, de Davel[1],
Le culte uni des deux patries.

Oh ! gardez-le toujours, gardez vos unions ;
Tenez l’œil au seul point où nous nous appuyons
Si nous ne voulons que tout tombe.
La mortelle patrie a besoin, pour durer,
D’entrer par sa racine, et par son front d’entrer
En celle que promet la tombe.

Fils au cœur chaste et fort, gardez tous vos saints nœuds,
Ce culte du passé, fécond en jeunes vœux,
Cet amour du lac qui modère,
Cet amour des grands monts qui vous porte, au pied sûr,
Dès le printemps léger, dans la nue et l’azur
D’où vous chantez la belle terre.

Et si quelqu’un de vous, poëte au large espoir[2],
Hardi, l’éclair au front, insoucieux de choir,
S’il tombe, hélas ! au précipice,

  1. Le major Davel, patriote et religieux, exécuté en 1723 pour avoir tenté d’affranchir le Pays de Vaud de la domination bernoise.
  2. Frédéric Monneron, jeune poëte qui promettait de prendre un essor élevé ; mort à la fleur de l’âge, dans l’égarement de l’esprit.