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PENSÉES D’AOÛT.


 « Telle de Maria (c’était ma jeune fille)
Jusqu’à moi, du plus loin, la caresse gentille
Souriait, s’égayait, et d’un air glorieux
Elle accourait montrant à deux mains ses cheveux.
Je pourrais bien ici faire le romanesque,
Vous peindre Maria dans la couleur mauresque,
Quelque gitana fière, à l’œil sombre, au front d’or ;
Mais je sais peu décrire et moins mentir encor.
Non, rien de tout cela, sinon qu’elle était belle,
Belle enfant comme on l’est sous ce climat fidèle,
Comme l’est tout beau fruit et tout rameau vermeil
Prêt à demain éclore au pays du soleil.
Elle avait jusque-là très-peu connu sa grâce ;
Elle oubliait son heure et que l’enfance passe.
L’intérêt délicat qu’un regard étranger
Marquait pour les trésors de son front en danger
Éveilla dans son âme une aurore naissante :
Elle se comprit belle, et fut reconnaissante.
Pour le mieux témoigner, en son charme innocent,
La jeune fille en elle empruntait à l’enfant ;
Ses visites bientôt n’auraient été complètes
Sans un bouquet pour moi de fraîches violettes,
Qu’elle m’allait cueillir, se jouant des hasards,
Jusque sous les boulets, aux glacis des remparts.

 « Souvenir odorant, même après des années !
Violettes d’un jour, et que rien n’a fanées !
J’ai quitté le pays, j’ai traversé des mers ;
Ce doux parfum me suit parmi d’autres amers.
Toujours, lorsqu’en courant je me surprends encore
À contempler un front que son avril décore,
Un cou d’enfant rieuse élégamment penché,
Un nœud de tresse errante à peine rattaché,