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PENSÉES D’AOÛT.

Quand le nom circula du beau Johannisberg[1],
Tous regardaient en masse, et ce fut un concert.
Et moi, je regardais le jeune homme à la face :
J’y saisis le dédain qu’un faux sourire efface,
Ce qu’en anglais Byron eût appelé le sneer,
Cette douleur railleuse et qu’il faut retenir.

Ô Polonais, pensai-je, ô le plus noble Slave,
Te voilà donc ici pour ne pas être esclave !
Te voilà, toi, seigneur, hors du honteux péril,
Pauvre, en habit grossier, déguisant ton exil,
Trop heureux d’avoir pu, dans la cité lointaine,
Rencontrer au faubourg ces compagnons de peine,
La famille qui t’aime, et dont un cœur trop bien
Écouta ton malheur et te devra le sien !

Et la femme pourtant, que ce fût aux collines
Ou le Reinstein brillant relevé des ruines,
Ou le Johannisberg dont la vitre a relui,
Ne savait, et n’avait de regards que pour lui.

À Mayence arrivant, au moment de descendre
Il se rapprocha d’eux, et tout me fit comprendre
Qu’il était sous l’abri du même passe-port.

Le lendemain matin, en revenant au bord
Dès l’aube, pour pousser à Manheim le voyage,
Je les vis tous, mais eux cette fois sans bagage ;
Lui seul avait le sien, fort léger, qu’on portait.
Rien qu’au deuil de la femme un mystère éclatait,
Elle était là muette, immobile et frappée.
Je compris cette veille en soin tendre occupée ;

  1. Appartenant au prince de Metternich.