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PENSÉES D’AOÛT.

À faire qu’on s’arrête à leur gloire soumis,
Et qu’Ithaque un instant s’oublie, et les amis.
Et pourtant, et bientôt, cette nature immense
Laisse un grand vide au cœur et le tient à distance,
Et tous ces monts glacés qu’à l’horizon je vois,
Four m’y bercer de loin, n’ont pas même les bois.
Oh ! j’ai besoin toujours, quelque lieu qui m’appelle,
De l’homme et des amis, du souvenir fidèle,
De ressaisir au cœur l’écho du cœur sorti,
De chercher au sentier ce qu’un autre a senti !
De ce cadre si fier par les monts qu’il assemble,
Dans un détail chéri, l’on goûte mieux l’ensemble.
En y prenant pour guide un rayon préféré,
Le tout plus tendrement s’éclaire à notre gré.
Un banc au bord du lac, un ombrage, une allée
Où d’avance l’on sait qu’une âme, un jour voilée,
S’est assise en pleurant ; des rocs nus et déserts,
Mais qu’un chantre qu’on aime a nommés dans ses vers ;
Ces places, à nous seuls longtemps recommandées,
Mêlant au vaste aspect la douceur des idées,
Voilà, dans ces grands lieux, à l’écart et sans bruit,
Ce que ma fuite espère et tout d’abord poursuit.

Laissant les bords nombreux où le regard hésite,
Aussitôt arrivé, j’ai donc choisi mon site
Aux bosquets odorants d’une blanche villa,
Cherchant l’endroit, le banc, et me disant : C’est là !
Il était soir ; le jour, dans sa pénible trace,
Avait chargé le lac d’orage et de menace ;
Mais, comme dans la vie on voit souvent aussi,
Le couchant soulevait ce lourd voile éclairci.
Je m’assis solitaire, et là, pensant à Celle
Qui m’avait dit d’aller et de m’asseoir comme elle,
Je méditais les flots et le ciel suspendu,