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PENSÉES D’AOÛT.

À peine j’y greffai quelque mûre sauvage.
J’y semai quelques fleurs dont je sais mal les noms.
Mais les chers souvenirs, auxquels nous revenons,
Eurent place ; on entend l’heure de la prière ;
Mais, sans cacher le mur du voisin cimetière,
Ma haie en fait l’abord plus riant et plus frais,
Et mon banc dans l’allée est au pied d’un cyprès.
À l’autre bout, au coin de ce champ qui confine,
L’horizon est borné par la triste chaumine,
Demeure d’artisan dont s’entend le marteau.
La forge, avec le toit qui s’adosse au coteau,
Dès l’aurore, à travers la pensée embaumée,
Ne m’épargne son bruit, ni sa pauvre fumée.
Ainsi vont les tableaux dont je romps les couleurs,
Rachetant l’idéal par le vrai des douleurs.

Plus est simple le vers et côtoyant la prose,
Plus pauvre de belle ombre et d’haleine de rose,
Et plus la forme étroite a lieu de le garder.
Si le sentier commun, où chacun peut rôder,
Longe par un long tour votre haie assez basse
Pour qu’on voie et bouvier et génisse qui passe,
Il faut doubler l’épine et le houx acéré,
Et joindre exprès d’un jonc chaque pied du fourré.
Si le fleuve ou le lac, si l’onde avec la vase
Menace incessamment notre plaine trop rase,
Il faut, sans avoir l’air, faute d’altier rocher,
Revêtir un fossé qui semble se cacher,
Et qui pourtant suffit, et bien souvent arrête.
La Hollande autrement ne rompt pas la tempête,
Et ne défend qu’ainsi ses pâturages verts
Et ses brillants hameaux, que j’envie en mes vers.
Ce rebord du fossé, simple et qui fait merveille,
C’est la rime avant tout ; de grammaire et d’oreille