Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/516

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
194
PENSÉES D’AOÛT.

Vous lui pardonnez bien, mais en Dieu seulement,
Et sans entendre à rien d’humain et de clément.
Et cette amitié morte au fond de vous remue ;
Et si dans mon discours son ombre est revenue,
Si le nom, par mégarde, irrite un souvenir,
Un sourire blessé ne se peut retenir,
Et vous rejetez loin l’affection trompée,
Comme on fait sous le pied la couleuvre coupée.

Et pourtant, dès l’enfance, en vos prés les plus verts,
Par vos jeux, par vos goûts ressemblants et divers,
Au plus beaux des vallons de votre Normandie,
Vous, effeuillant déjà les fleurs qu’il étudie ;
Vous, plus brillant, plus gai de folie, et plus vain
À dissiper, poëte, un trésor plus divin ;
Lui plus grave, et pourtant aimable entre les sages,
S’éprenant des douceurs comme vous des orages ;
Et puis avec les ans tous les deux divisés
(Non de cœur) et menant vos sentiers moins croisés ;
Lui dans la raison saine et l’étude suivie,
Et la possession plénière de la vie,
Et l’obligeance heureuse, et tout ce qui s’accroît
En estime, en savoir, sous un antique toit,
Et chaque jour enfin, dans sa route certaine,
Tournant au docte Huet, — mais Vous au La Fontaine ;
Vous, pauvre Ami sensible, avec vos tendres vers,
Avec tous vos débris délicieux et chers,
Vos inquiets tourments de choses si sacrées,
Vos combats de désirs et vos fautes pleurées
Tous deux liés toujours, Vous d’erreurs assailli,
Jusqu’en Dieu rejetant ce cœur trop défailli

    ration de sentiments entre Ulric Guttinguer, le poëte ; et Auguste Le Prevost, l’antiquaire de Normandie.