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PENSÉES D’AOÛT.


Tu n’as rien à donner, mon Dieu, pour que je t’aime ;
Car, si profond que soit mon espoir, en l’ôtant,
Mon amour irait seul, et t’aimerait autant !



Tu te révoltes, tu t’irrites,
Ô mon Âme, de ce que tel
Ne comprend pas tous tes mérites
Et met ton talent sous l’autel ;

Tu t’en aigris ! mais, Âme vaine,
Pourquoi, d’un soin aussi profond,
N’es-tu pas prompte à tirer peine
De ce que d’autres te surfont ;

De ce que tout lecteur sincère,
Te prenant au mot de devoir,
Te tient en son estime chère
Bien plus que tu sais ne valoir ?

Oh ! plus sage, mieux attristée,
Tu souffrirais amèrement
De la faveur imméritée
Plus que de l’injure, estimant

Que dans cette humaine monnaie
Ton prix encore est tout flatteur,
Et que bien pauvre est la part vraie
Aux yeux du seul Estimateur !