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PENSÉES D’AOÛT.


à mes amis

GRÉGOIRE ET COLLOMBET[1]


Quoique tout change et passe et se gâte avant l’heure ;
Quoique rien de sacré devant tous ne demeure ;
Qu’un siècle ambitieux n’empêche pas l’impur,
Que le tronc soit atteint sans que le fruit soit mûr ;
Quoique les jeunes gens sans charme ni jeunesse,
Laissant la modestie et sa belle promesse,
Dévorent l’avenir, et d’un pied méprisant
Montent comme à l’assaut en foulant le présent ;
Quoique des parvenus la bassesse et la brigue
Provoquent les fougueux à renverser la digue,
Et que, si loin qu’on aille à poser ses regards,
On n’ait dans le passé que de rares vieillards,
Il est encore, il est, pour consoler une âme,
Hors des chemins poudreux et des buts qu’on proclame,
Il est d’humbles vertus, d’immenses charités,
Des candeurs qu’on découvre et des fidélités ;
Des prières à deux dans les nuits nuptiales ;
Des pleurs de chaque jour aux pierres sépulcrales ;
Témoins que rien n’altère, obscurs, connus du Ciel,
Sauvant du mal croissant le bien perpétuel,
Et qui viennent nous rendre, en secrètes lumières,
Les purs dons conservés, les enfances premières
De ce cœur humain éternel !

  1. Deux amis que j’avais à Lyon.