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PENSÉES D’AOÛT.

Ne jamais remuer ce qui tant le troubla.
La prière et le chant sont pour vous au de la,
Au-dessus, tout à part. — Oh ! combien de pensées
Glissent en vous trop bas pour entrer cadencées
Dans le divin nuage où vibre votre accent !
Cette voix prie, et monte, et rarement descend.
C’est l’arome léger de votre âme embaumée,
L’excès de votre encens, sa plus haute fumée.
Poëte par le cœur, — pour l’art, — vous l’ignorez.
L’art existe pourtant ; il a ses soins sacrés ;
Il réclame toute œuvre, il la presse et châtie,
Comme fait un chrétien son âme repentie ;
Il rejette vingt fois un mot et le reprend ;
De nos tyrans humains ce n’est pas le moins grand.
Aussi redoutez peu que je vous le conseille.
La gloire de ce miel est trop chère à l’abeille ;
L’amour de le ranger en trop parfaits rayons
Use un temps que le bien réserve aux actions.
Chantez, chantez encore, à pleine âme, en prière,
Et jetez votre accent comme l’œil sa lumière.

Heureux dont le langage, impétueux et doux,
En servant la pensée est plutôt au-dessous ;
Qui, laissant déborder l’urne de poésie,
N’en répand qu’une part, et sans l’avoir choisie ;
Et dont la sainte lyre, incomplète parfois,
Marque une âme attentive à de plus graves lois !
Son défaut m’est aimable et de près m’édifie,
Et je sépare mal vos vers de votre vie,
Vie austèrement belle, et beaux vers négligents.

Tel je vous sens, Ami, — surtout quand, seul aux champs,
Par ce déclin d’automne où s’endort la nature,
Un peu froissé du monde et fuyant son injure,