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PENSÉES D’AOÛT.


À M. ACHILLE DU CLÉSIEUX,


auteur d’Exil et Patrie.


Dans le récit qu’on lit des hommes d’autrefois,
Des meilleurs, des plus saints, de ceux en qui je crois,
Ami, ce que j’admire et que surtout j’envie,
C’est leur force, un matin, à réformer leur vie ;
C’est Dieu les délivrant des nœuds désespérés.
Car d’abord, presque tous, ils s’étaient égarés.
Ils avaient pris la gauche et convoité l’abîme ;
Mais quelque événement bien simple ou bien sublime,
Un vieillard, un ami, les larmes d’une sœur,
Quelque tonnerre au ciel, un écho dans leur cœur,
Les replaçait vivants hors des vicissitudes,
Et parmi les cités, au fond des solitudes,
Dans la suite des jours ou sereins ou troublés,
L’éclair ne quittait plus ces fronts miraculés.
À voir les temps présents, où donc retrouver trace
Des résolutions que féconde la Grâce,
De ces subits efforts couronnés à jamais,
De ces sentiers si blancs regagnant les sommets ?
Où donc ? — La vie entière est confuse et menue,
S’enlaçant, se brisant, rechute continue,
Sans un signal d’arrêt, sans un cri de holà !
Le port n’est pas ici, l’abîme n’est pas là.
On va par le marais que chaque été dessèche,
Que quelque jonc revêt d’une apparence fraîche,
Et qu’un soleil menteur dore de son rayon.
On va : le pied suffit ; ce qu’on nomme raison