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PENSÉES D’AOÛT.

— Dans le Désert assis, tout autour du goûter
Les tenant à ses pieds plus prêts à l’écouter,
Il mêlait l’autre pain, l’immortel et l’aimable,
Que Platon n’eût pas cru des petits saisissable :
Il le multipliait ; et si, sous son regard,
Deux d’entre eux disputaient une meilleure part,
Un simple mot, au cœur du plus fort, le désarme,
Le fait céder au faible et s’éloigner sans larme :
Et bientôt, comme ensemble il les voyait remis,
La querelle oubliée : « Ainsi, jeunes amis,
« Disait-il, si plus tard l’intérêt dans la vie
« Vous sépare, il vaut mieux que le fort sacrifie,
« Que le faible épargné se repente à son tour,
« Vous souvenant qu’ici vous fûtes tous un jour,
« Vous souvenant qu’à l’âme une secrète joie
« Vaut mieux que double part où le mal fait sa proie.
« Heureux par le vieux maître, aimez-vous tous pour lui ! »
— Et le jour allait fuir ; une étoile avait lui.
Et d’un tertre à ses pieds leur montrant la campagne,
D’un cœur surabondant que le passé regagne,
Un écho du Vicaire en lui retentissait :
Mais ce prompt souvenir à l’instant se taisait
Dans le Sermon sur la Montagne !

Jean-Jacques, si pour l’homme ici trop relégué
Ta religion vague et son appui tronqué
Suffisaient,… si pourtant tes simples Élysées
N’étaient pas le faux jour des clartés trop aisées,
Que peux-tu dire encore ? Il fut digne de toi ;
Tu l’as connu pour fils aux rayons de sa foi,
Et le tirant, Esprit, aux sphères où tu restes,
Tu le montres d’orgueil aux Sagesses célestes.
Mais si tu t’es trompé, si ce natif orgueil
A pour tous et pour toi fait dominer l’écueil :