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PENSÉES D’AOÛT.

Traversés, le Désert[1] les reçut plus courants :
Leurs voix claires montaient sous les pins murmurants.
Et détachés du jeu, quelque demi-douzaine
Que le respect, qu’aussi la fatigue ramène,
D’un esprit attentif, déjà moins puéril,
Écoutaient le vieillard : « Voilà, leur disait-il,
« De beaux lieux, mes enfants, et ce matin encore
« Vous les imaginiez comme ce qu’on ignore.
« Il est bien d’autres lieux, il en est un plus beau,
« Le seul vrai, près duquel ceci n’est qu’un tombeau.
« À se l’imaginer, on ne saurait que feindre ;
« Plus haut que le soleil il faut aller l’atteindre,
« Plus haut qu’à chaque étoile où vos yeux se perdront.
« Ce voyage si grand, il est aussi bien prompt :
« On le fait dans la mort sur les ailes de l’âme.
« Comportez-vous déjà pour que plus tard, sans blâme,
« Le Maître vous reçoive ; il vous connaît ici. »
— Comme l’un demandait : « À qui donc est ceci ?
« Quel est le maître ? » — « Enfants, il est toujours un maître
« Quand on voit de beaux lieux ; seulement, sans paraître,
« Il vous laisse vous plaire et courir en passant.
« Ainsi Dieu fit pour l’homme en l’univers naissant :
« Mais l’homme, enfant malin, a gâté la merveille ;
« Le Christ l’a réparée ; il faut qu’on se surveille. »
— « Ce maître, ajoutait-il, est absent : moi bientôt,
« Qui suis là, mes enfants, je partirai là-haut ;
« Je deviendrai, pour vous, absent dans vos conduites :
« Mais mon œil vous suivra ; pensez-y donc, et dites :
« Le vieux maître est absent, mais toujours il nous voit,
« Et, si nous faisons bien, Dieu l’aime et le reçoit.
« J’eus aussi mon vieux maître, à cet âge où vous êtes :
« Il me suit, et nous voir c’est une de ses fêtes. »

  1. C’est le nom qu’on donne, à Ermenonville, au second parc plus sauvage.