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PENSÉES D’AOÛT.

Lui montrait quelquefois, à ses yeux revenu,
Celui-là qui jamais ne l’avait reconnu,
Dont il est bien la chair, mais qui, d’un lent sourire,
Lui semblait à la fin l’applaudir, et lui dire
Que, si l’homme mérite, il était méritant,
Et qu’en son lieu lui-même en voudrait faire autant.
Mais le fils, déjà prompt aux genoux qu’il embrasse,
S’éveille, et serre l’ombre, et cherche en vain la trace ;
Et rappelant le deuil à ses esprits flattés,
Il accuse l’éloge et ses témérités.

Tel, sévère en son but, voué sous sa souffrance,
Madame de Cicé, plus tard rentrée en France,
Le retrouva tout proche, et put, durant trente ans,
Noter son lent martyre et ses actes constants.
Les premiers mois passés du retour, dans leur vie
Ils convinrent entre eux d’une règle suivie :
Ainsi l’exigea-t-il. Un jour, un seul par an,
Il dînait désormais chez elle, à la Saint-Jean,
Douce fête d’été, champêtre anniversaire,
De ses contentements le rendez-vous sincère.
Il ne la visitait même que cette fois,
Et ne lui parlait plus qu’à de rares endroits,
Après l’église, ou quand le sentier qui le mène
Forçait en un détour leur rencontre soudaine.

Dans le soin des enfants, il tâchait d’allier
À ce qu’il sait du mal qu’il faut humilier,
Et sans fausser en rien la solide doctrine,
Quelques points de l’Émile et de sa discipline ;
Heureux, l’ayant greffé, de voir le rameau franc
Revivre à l’olivier qu’arrose un Dieu mourant.
Vers les champs, volontiers, ses images parlantes
Empruntent aux moissons et choisissent aux plantes ;