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PENSÉES D’AOÛT.

Elle restait l’année entière dans sa terre ;
J’y passais, chaque automne, un long mois salutaire.
Un jour qu’après la messe, et son bras sur le mien,
Nous sortions pas à pas : « Oh ! remarquez-le bien, »
Dit-elle d’une voix aussitôt pénétrée,
Et de l’œil m’indiquant, vers le portail d’entrée,
Le magister debout ; « remarquez, il est vieux,
« Il ne vivra plus guère : un jour vous saurez mieux,
« Si je survis.. » — « Déjà, repartis-je, aux offices,
« J’ai souvent admiré ses pieux exercices,
« Son chant accentué, son œil fin, et sa voix
« Ferme encore, et cet air du meilleur d’autrefois.
« On l’estime partout. » — « Oh ! ce n’est rien, dit-elle,
« Près du vrai : c’est un saint, c’est l’ouvrier fidèle ! »

Elle continuait : aussi loin qu’elle alla,
J’écoutai, pressentant quelque chose au de la.

Tout après la Terreur, n’étant plus un jeune homme,
Monsieur Jean (c’est son nom, seul nom dont on le nomme,
Et ce mot de monsieur chaque fois s’y joignait
Tandis que la Marquise ainsi me le peignait),
Monsieur Jean, jusqu’alors absent, en maint voyage,
S’en état revenu se fixer au village,
Au clocher qui gardait bien des tombes d’amis :
Sans parents, c’était là qu’en nourrice il fut mis.
Dans le temps qu’il revint, la tempête trop forte
Expirait : de l’école il rouvrit l’humble porte ;
Ce fut un bienfaiteur en ces ans dévastés :
Il renoua la chaîne, et des plus révoltés
Concilia l’ardeur, n’accusant que l’injure.
Ce qu’il dit, ce qu’il fit dans sa sagesse obscure,
Ce que reçut au cœur de bon grain en partant
Plus d’un enfant du lieu qui, mort en combattant,