Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/454

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
132

définiment, les vers pourtant s’accumulaient ; je les, dispersais çà et là dans des journaux et recueils périodiques, je les mêlais à mes articles de critique, où ils n’étaient pas lus comme il convient à des vers : et le reproche m’était fait par plusieurs personnes indulgentes de garder, depuis un recueil favorablement reçu, un silence sans cause. Ce que j’assemble est donc uniquement pour montrer que je n’ai jamais déserté un art chéri. Depuis mars 1830, époque où parurent Les Consolations, et à travers toute espèce de distractions dans les choses ou dans les pensées, j’ai fait beaucoup de vers : j’en ai fait surtout de deux sortes. Je me trouve avoir en ce moment, et sans trop y avoir visé, deux recueils entièrement finis. Celui qu’aujourd’hui je donne, le seul des deux qui doive être de longtemps, de fort longtemps publié, n’est pas, s’il convient de le dire, celui même sur lequel mes prédilections secrètes se sont le plus arrêtées. Il n’exprime pas, en un mot, la partie que j’oserai appeler la plus directe et la plus sentante de mon âme en ces années. Mais on ne peut toujours se distribuer soi-même au public dans sa chair et dans son sang, et après l’indiscrétion naïve des premiers aveux, après l’effusion encore permise des seconds, il vient un âge où la pudeur redouble pour ce qu’on a, une troisième et dernière fois, exprimé ; soit qu’on ait exprimé des sentiments qui bientôt eux-mêmes expirent, mais que rien ne remplacera désormais, soit qu’on ait préparé en silence le monument de ce qui durera en nous autant que nous, de ce qui ne changera plus. Ce recueil actuel, tout autre, n’est donc, si on le veut bien, que le superflu des heures, leur agrément, leur ennui, l’attente, l’intervalle, la réflexion parfois monotone et bien sérieuse, parfois le retour presque riant et qu’on dirait volage : mais on y retombe vite toujours au mélancolique et au grave, on n’y perd jamais trop de vue le lointain religieux, et surtout, dans l’ordre des affections exprimées, bien qu’elles puissent sembler éparses et nombreuses, on n’y sort jamais de la vérité intime des sentiments. L’unité peut être ailleurs, la sincérité du moins est par-