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JUGEMENTS ET TÉMOIGNAGES.

combes de Naples. Je me promène ici depuis bientôt six heures, et je ne trouve rien : cependant les catacombes sont bien poétiques. » C’est que si la nature extérieure a sa poésie, cette poésie n’est qu’un germe que peut seule féconder une âme poétique ; c’est de plus qu’en poésie comme en amour les penchants sont divers. Il n’est pas sûr que le Pausilippe inspirât M. Sainte-Beuve aussi bien que son boulevard d’Enfer.

« Toutes les pièces du recueil ne sont pourtant pas du même genre. Souvent le poëte nous initie moins au travail de son imagination, et l’inspiration nous apparaît sans que nous la voyions venir. Nous citerons, par exemple, la pièce adressée à mademoiselle ***, chef-d’œuvre, selon nous, de sensibilité et de grâce ; nous citerons la Harpe éolienne, traduction ravissante du poëte anglais Coleridge, avec lequel M. Sainte-Beuve a de si remarquables rapports. Nous citerons enfin l’admirable morceau sur l’art, que le Globe à inséré tout entier. Il n’y a point là de ces détails qu’on appelle vulgaires ; mais ce n’en est pas moins une poésie de même nature. Bien différent de ces poëtes qui font des vers pour en faire, M. Sainte-Beuve pense et sent, et ses pensées comme ses sentiments débordent en poésie.

« Pour parler à fond du style, il nous faudrait presque un second article. Le style de M. Sainte-Beuve, en effet, a deux caractères, l’un qui lui est propre, et l’autre qu’il tient de l’école à laquelle il appartient. Cette école, on le sait, croit, et nous croyons avec elle, que la langue poétique de la France a, depuis Corneille et Molière, été continuellement s’effaçant. C’est donc au commencement du dix-septième siècle, au delà même de Racine qu’elle cherche à remonter. Là, selon elle, est un instrument souple et fort, plein et varié, instrument que les poëtes du dernier siècle ont à tort délaissé et que leurs successeurs doivent tâcher de ressaisir. Telle est, en fait de style, la révolution, ou, si l’on veut, la restauration, qu’avec persévérance et courage poursuivent en ce moment les poëtes de la nouvelle école. Mais une restauration est toujours pleine de difficultés et de dangers, et peut-être n’ont-ils pas su toujours s’en garantir. Peut-être, par haine de la régularité monotone du vers qu’ils attaquent, ont-ils trop brisé leur vers, et, par ennui du solennel, trop recherché le familier. De là, plusieurs singularités qui, comme on l’a déjà dit dans ce journal, sont en quelque sorte leur cocarde. Cette cocarde, M. Sainte-Beuve la montre beaucoup moins dans ce nouveau recueil que dans le premier ; mais il ne le cache pas encore tout à fait. Quant à son style propre, il est, si nous pouvons parler ainsi, tout d’une pièce avec la pensée, et c’est ce qui le rend de