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JUGEMENTS ET TÉMOIGNAGES.

Cependant nous en citerons une, qui, jointe à celles que le Globe a déjà citées, pourra, ce nous semble, donner des autres une assez juste idée. Quand on l’aura lue pour en goûter l’ensemble, nous prions de la relire pour en examiner les détails ; nulle part peut-être la facture de M. Sainte-Beuve ne se montre plus à nu :

Dans l’Île Saint-Louis, le long d’un quai désert…

(Suit la pièce entière dédiée à M. Auguste Le Prévost, qui commence par ce vers.)


« Nous ne savons, mais rien dans notre langue ne nous fait éprouver le même genre de plaisir que ce morceau si touchant et si simple. Il semble que nous marchions côte à côte avec l’auteur, et que le long de ce quai désert notre pensée erre avec la sienne et se prenne machinalement aux mêmes vieux souvenirs, s’abandonne aux mêmes réflexions. C’est une rêverie comme dans nos moments de paisible contemplation nous nous y sentons tous entraînés. Telle est en effet l’imagination, ou, si l’on veut, la muse de M. Sainte-Beuve. Il ne lui faut ni grandes catastrophes ni sublimes spectacles. Plus modeste et plus bourgeoise, elle loge en garni, dîne à table d’hôte, se promène sur les quais ou les boulevards, et partout s’inspire de ce qui l’entoure, s’anime de ce qu’elle voit. Tout, en un mot, est pour elle source d’émotion et de poésie : une vieille maison qui projette son ombre sur le quai, une sculpture abandonnée dans une cour, une branche d’arbre qui pend devant sa fenêtre, tout, jusqu’aux recoins poudreux de sa chambre. C’est de là que toujours elle part pour s’élever aux méditations les plus hautes ; c’est là qu’ensuite elle vient se reposer, et prendre des forces nouvelles.

« Plusieurs poëtes on Angleterre ont ainsi procédé ; mais aucun en France. Aussi, comme toute innovation, celle-ci fait-elle jeter de grands cris. « C’est, dit-on, rabaisser la poésie que de la faire, descendre à se si vulgaires détails. La poésie est fille des dieux et ne doit pas déroger. » Admirable critique ! Faut-il cent fois répéter que la poésie est partout où il existe un poëte, et là seulement ? Que d’honnêtes jeunes gens nous avons connus qui, au sortir du collège, se mettaient en quête de poésie au delà des Alpes ou des Apennins ! Les cheveux longs et la barbe touffue, on les voyait le matin errer dans les rues de Pompéïa, gravir le Vésuve, s’asseoir au Colisée ; et, malgré tout cela, cette inspiration qu’ils étaient venus chercher si loin les fuyait comme à Paris ou à Lyon. « J’ai du malheur, nous disait un d’eux, un jour que nous le rencontrâmes dans les cata-