Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/423

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
101
LES CONSOLATIONS.

Fuyant, jeune, l’arène et ta part aux ébats,
Soustraite à tous jaloux en ta cellule obscure,
Il te semblait qu’on dût t’y laisser sans injure,
Et qu’il convenait mal au parvenu puissant,
Quand on se tait sur lui, d’aller nous rabaissant.
Comme si, dans sa brigue, il lui restait encore
Le loisir d’insulter à l’oubli que j’adore !
Tu te plains donc, mon Âme ! — Oui… mais attends un peu ;
Avant de t’émouvoir, avant de prendre feu
Et de troubler ta paix pour un long jour peut-être,
Rentrons en nous, mon Âme, et cherchons à connaître
Si, purs du vice altier qui nous choque d’abord,
Nous n’aurions pas le nôtre, avec nous plus d’accord,
Car ces coureurs qu’un Styx agite sur ses rives,
Au festin du pouvoir ces acharnés convives,
Relevant d’un long jeûne, étonnés, et collant
À leur sueur d’hier un velours insolent[1]
Leurs excès partent tous d’une fièvre agissante ;
Une plus calme vie aisément s’en exemple :
Mais les écueils réels de cet autre côté
Sont ceux de la paresse et de la volupté.
Les as-tu fuis, ceux-là ? Sonde-toi bien, mon Âme ;
Et si, sans chercher loin, tu rapportes le blâme,
Si, malgré ton timide effort et ma rougeur,
La nef dormit longtemps en un limon rongeur,
Si la brise du soir assoupit trop nos voiles,
Si la nuit bien souvent eut pour nous trop d’étoiles,
Si jusque sous l’Amour, astre aux feux blanchissants,
Des assauts ténébreux enveloppent mes sens,
Ah ! plutôt que d’ouvrir libre cours à ta plainte

  1. C’était une allusion, autant qu’il m’en souvient, à quelqu’un de ces pairs de France de création récente, auquel il était échappé alors sur mon compte un de ces mots étourdis ou perfides, comme on se les refuse si peu à l’occasion.