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LES CONSOLATIONS

De vil et d’immortel : dans l’ombre ou la tempête
Elle attise en marchant son brasier sur sa tête :
L’encens monte et jaillit ! Elle a foi dans son vœu :
Elle ose la première à l’avenir en feu,
Quand chassant le vieux Siècle un nouveau s’initie,
Lire ce que l’éclair lance de prophétie.
Oui, la jeunesse est bonne ; elle est seule à sentir
Ce qui, passé trente ans, meurt, ou ne peut sortir,
Et devient comme une âme en prison dans la nôtre ;
La moitié de la vie est le tombeau de l’autre ;
Souvent tombeau blanchi, sépulcre décoré,
Qui reçoit le banquet pour l’hôte préparé.
C’est notre sort à tous ; tu l’as dit, ô grand homme !
Eh ! n’étais-tu pas mieux celui que chacun nomme,
Celui que nous cherchons, et qui remplis nos cœurs,
Quand par de la les monts d’où fondent les vainqueurs,
Dès les jours de Wagram, tu courais l’Italie,
De Pise à Nisita promenant ta folie,
Essayant la lumière et l’onde dans ta voix,
Et chantant l’oranger pour la première fois ?
Oui, même avant la corde ajoutée à ta lyre,
Avant le Crucifix, le Lac, avant Elvire,
Lorsqu’à regret rompant les voyages chéris,
Retombé de Pestum aux étés de Paris,
Passant avec Jussieu[1] tout un jour à Vincennes
À tailler en sifflets l’aubier des jeunes chênes ;
De Talma, les matins, pour Saül, accueilli ;
Puis retournant cacher tes hivers à Milly,
Tu condamnais le sort, — oui, dans ce temps-là même,
(Si tu ne l’avais dit, ce serait un blasphème),
Dans ce temps, plus d’amour enflait ce noble sein,

  1. M. Laurent de Jussieu, l’un des plus anciens amis de M. de Lamartine.