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LES CONSOLATIONS.


Je m’accoutume en paix aux voluptés tranquilles ;
Quand la ville et ses bruits m’importunent, j’en sors ;
Tantôt, près de Paris, la Marne et ses presqu’îles,
Solitaire pieux, m’égarent sur leurs bords :

Tantôt, pour épuiser mon fond d’inquiétude,
Je vais ; le Rhin au pied de ses coteaux pendants
M’emporte ; et du séjour avec la solitude
Je reviens chaque fois plus paisible au dedans.

Et mon vœu le plus cher serait, on peut le croire,
D’abjurer à l’instant orgueil et vanité,
De n’être plus de ceux qui luttent pour la gloire,
Mais de cacher mon nom sous un toit écarté,

Où mon plus haut rosier montant à ma fenêtre
Rejoindrait le jasmin qui viendrait au-devant ;
Où je respirerais l’esprit divin du Maître
Dans le bouton en fleur, dans la brise et le vent ;

Où, vers le soir, à l’heure où la terre est muette,
Près de ma bien-aimée, en face du couchant,
Entendant, sans la voir, le chant de l’alouette,
Je dirais : « Douce amie, écoutons bien ce chant ;

« C’est ainsi que la voix du bonheur nous arrive,
« Peu bruyante, lointaine et nous venant du ciel ;
« Il faut qu’à la saisir l’âme soit attentive,
« Que tout fasse silence en notre cœur mortel. »

Or, pour qui ne souhaite ici-bas pour lui-même
Que la paix du dedans, et n’a point d’autre vœu
Sinon qu’au genre humain, à ses frères qu’il aime,
S’étende cette paix, — pour celui-là, mon Dieu !