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LES CONSOLATIONS.


XXIX

À MON AMI M. P. MÉRIMÉE


....May my fears
My filial fears be vain !

Coleridge.


Ainsi, plongé longtemps au plus bas de l’abîme,
Enfermé dans la fosse où je niais le Ciel,
Ainsi le repentir descendait sur mon crime,
Et je sortais vivant, pareil à Daniel !

Ainsi, pauvre Joseph, du fond de ma citerne
Appelant vainement mes frères par leurs noms,
Puis vendu comme esclave, et dans une caverne
Mêlé, pâtre moi-même, à d’impurs compagnons,

Cru mort de tous, pleuré de ma tribu chérie,
Ainsi l’ombre sortait un jour de mon chemin ;
Dieu disait de couler à la source tarie ;
Et j’embrassais encor Jacob et Benjamin !

Aujourd’hui donc, heureux dans l’humaine misère,
Dans le sentier du bien remonté par degrés,
De peur de retomber (car mon âme est légère)
Je veille sur mes sens, et les tiens entourés.

Du mal passé je crains de réveiller la trace :
Une sainte amitié m’enchaîne sous sa loi ;
L’art occupe mon cœur, ne laissant jour ni place
Aux funestes pensers d’arriver jusqu’à moi.