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LES CONSOLATIONS.

Aujourd’hui, des hauteurs de la sphère sacrée,
À terre descendu, vous faites votre entrée ;
On sème donc, Ami, les pièges sous vos pas ;
Mais tenez bon, marchez et ne trébuchez pas !
Il faut porter au bout l’ingratitude humaine ;
Ce n’est plus comme au temps où votre chaste peine,
Délicieux encens, montait avec vos pleurs,
Quand Dieu vous consolait, quand vous viviez ailleurs.
Oh ! que la vie alors vous était plus facile !
Repoussé d’ici-bas, vous aviez votre asile
Et vous n’en sortiez plus. Quand votre amour doua
De beautés à plaisir l’ineffable Eloa,
On jonchait le sentier de cailloux et de verre,
Mais ses beaux pieds flottants ne touchaient point la terre.
Qu’importait à Moïse, admis au Sinaï,
Contemplant Jéhovah, d’être un moment trahi
Par Aaron, oublié par le peuple ? Et quand l’onde
Vengeresse noya d’un déluge le monde,
La colombe, choisie entre tous les oiseaux,
Messagère qu’un Juste envoyait sur les eaux,
Ne rencontrant partout que flot vaste et qu’abîme,
À défaut des hauts monts, du cèdre à verte cime,
À défaut des palmiers des bords de Siloé,
N’avait-elle pas l’arche et le doigt de Noé ?
Ainsi vous, Chantre élu. — Mais aujourd’hui tout change ;
La triste humanité monte à votre front d’ange ;
Afin de mieux remplir le message divin,
Vous avez dépouillé l’aile du Séraphin,
Et, laissant pour un temps le paradis des âmes,
Vous abordez la vie et le monde et les drames.
C’est bien ; là sont des maux, mille dégoûts obscurs,
Mille embûches sans nom en des antres impurs ;
Là, des plaisirs trompeurs et mortels au génie ;
Là, le combat douteux et longue l’agonie,