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LES CONSOLATIONS.

Qui servait de demeure à cette âme si belle.
J’approchai de la morte en silence et tremblant ;
Des dames lui couvraient le front d’un voile blanc,
Et son air reposé, sa parfaite harmonie
Semblaient dire : Je suis dans la paix infinie.
Et, la voyant si sainte en ce divin sommeil,
Je me sentis pour moi tenté d’un sort pareil,
Je désirai mourir : Ô Mort, viens, m’écriai-je,
Mon front est déjà froid, et ta pâleur y siége ;
Je suis des tiens ; j’implore et j’aime ta rigueur ;
Prends-moi, car tu m’as pris la Dame de mon cœur.
Et, quand j’eus vu remplir les devoirs funéraires,
Tels qu’en rendent aux morts les mères et les frères,
Je crus que je rentrais dans ma chambre ; et bientôt,
Les yeux au ciel, en pleurs, je m’écriai tout haut :
Bienheureux qui jouit de ta vue, ô belle Âme !
Mais, comme j’en étais aux sanglots, une dame,
Une jeune parente, assise à mon chevet,
Ignorant que c’était mon esprit qui rêvait,
S’expliqua mes sanglots par ma douleur croissante,
Et se mit à pleurer, bonne et compatissante.
D’autres dames alors, assises plus au fond
Et qui n’entendaient rien de mon rêve profond,
Se levèrent aux pleurs de ma jeune parente,
Et vinrent ramener à temps mon âme errante ;
Car de ma Béatrix déjà le nom sacré
M’échappait, et déjà je l’avais murmuré.
Sur l’instant, par bonheur, ces dames m’éveillèrent,
Puis, réveillé, honteux, toutes me consolèrent,
Et voulurent savoir de ma bouche pourquoi
En rêvant j’avais eu tant de pleurs et d’effroi ;
Et je leur contai tout comme je viens de faire,
Mais sans nommer le nom qu’il faut bénir et taire. »