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LES CONSOLATIONS.

Comme un homme gisant qui ne peut se mouvoir.
Et, le neuvième jour, quand ma douleur cuisante
Redoubla, tout à coup voilà que se présente
À mon esprit ma Dame, et je suivis d’abord
Ce penser consolant ; mais, se faisant plus fort,
Mon mal me ramena bientôt sur cette terre,
Me retraça longtemps sous une face austère
Cette chétive vie et sa brièveté,
Tant d’ennui, de misère, et la tombe à côté ;
Et mon cœur se disait comme un enfant qui pleure :
Il faut que Béatrix, un jour ou l’autre, meure.
À cette seule idée un frisson me glaça,
Un nuage ferma mes yeux et les pressa ;
Je sentis m’échapper mon âme en frénésie,
Et ce que vit alors l’œil de ma fantaisie,
C’étaient, cheveux épars, et me tendant les bras,
Des femmes qui passaient en disant : Tu mourras ;
Et puis d’autres encor, d’autres échevelées
Criant : Te voilà mort ; et fuyant par volées.
Ce n’étaient sur ma route, aux angles des chemins,
Que figures en deuil qui se tordaient les mains.
L’air brûlait ; au milieu d’étoiles enflammées,
Le soleil se fondait en ardentes fumées,
Et quelqu’un me vint dire : Eh ! quoi ? ne sais-tu pas,
Ami ? ta Dame est morte et s’en va d’ici-bas,
À ce mot je pleurai, mais non plus en idée ;
Je pleurai de vrais pleurs sur ma joue inondée.
Puis, regardant, je vis en grand nombre dans l’air,
Pareils aux blancs flocons de la neige en hiver,
Des anges qui berçaient, mollement remuée,
Une âme assise au bord d’une blanche nuée ;
Ils l’emportaient au ciel en chantant Hosanna !
Je compris, et l’Amour par la main m’emmena,
Et j’allai visiter la dépouille mortelle