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LES CONSOLATIONS.

Leurs sonnets familiers, leurs poëmes intimes,
Où, du sort bien souvent autant que moi victimes,
Ils ont, mortels divins, gémi divinement.
Et fait de chaque larme étoile ou diamant.
C’est Pétrarque amoureux, au penchant des collines
Laissant voir en son cours ses perles cristallines ;
Plaintif ; réfléchissant les bois, le ciel profond,
Les blonds cheveux de Laure et son chaste et doux front.
C’est Wordsworth peu connu, qui des lacs solitaires
Sait tous les bleus reflets, les bruits et les mystères,
Et qui, depuis trente ans, vivant au même lieu,
En contemplation devant le même Dieu,
À travers les soupirs de la mousse et de l’onde
Distingue, au soir, des chants venus d’un meilleur monde.
C’est Michel-Ange aveugle, et jetant le ciseau ;
C’est Milton, autre aveugle et son Penseroso,
Penseroso sublime, ardent visionnaire,
Vrai portrait de Milton avant que le tonnerre
Dont il s’arma là-haut eût consumé ses yeux,
Quand debout, chaque nuit, malade et soucieux,
Dans la vieille Angleterre, au retour d’Italie,
Exhalant les chaleurs de sa mélancolie,
Et pâle, sous la lune, au pied de Westminster,
Il devinait Cromwell ou rêvait Lucifer.
J’aime fort ses sonnets, ce qu’il dit de son âge,
Et des devoirs humains en ce pèlerinage,
Et des maux que d’abord sur sa route il trouva…
Puis vient le tour de Dante et la Vita nuova.
Dante est un puissant maître, à l’allure hardie,
Dont j’adore à genoux l’étrange Comédie,
Mais le sentier est rude et tourne à l’infini,
Et j’attends, pour monter, notre guide Antony.
Le plus court me va mieux ; — aussi la simple histoire
Où, de sa Béatrix recueillant la mémoire,