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LES CONSOLATIONS.

 
« Plus de marbre qui vole en éclats sous mes doigts !
« Je ne sais qu’adorer l’adorable Victime
« Qui, pour nous recevoir, a mis les bras en croix. »

Ainsi, vieux et mourant, s’écriait Michel-Ange ;
Et son marbre à ses yeux était comme la fange,
Et sa peinture immense attachée aux autels,
Toute sainte aujourd’hui qu’elle semble aux mortels,
Lui semblait un rideau qui cache la lumière ;
Détrompé de la gloire, il voulait voir derrière,
Et se sentait petit sous l’ombre du tombeau :
C’est bien, et ce mépris chez toi, grand homme, est beau !

Tu te trompais pourtant. — Oui, le plaisir s’envole,
La passion nous ment, la gloire est une idole,
Non pas l’Art ; l’Art sublime, éternel et divin,
Luit comme la Vertu ; le reste seul est vain.
Avant, ô Michel-Ange, avant que les années
Eussent fait choir si bas tes forces prosternées,
Raidi tes bras d’athlète, et voilé d’un brouillard
Les couleurs et le jour au fond de ton regard,
Dis-nous, que faisais-tu ? Parle haut et rappelle
Tant de travaux bénis, et plus d’une chapelle
Tout entière bâtie et peinte de tes mains,
Et les groupes en marbre, et les cris des Romains
Quand, admis et tombant à genoux dans l’enceinte,
Ils adoraient de Dieu partout la marque empreinte,
Lisaient leur jugement écrit sur les parois,
Baisaient les pieds d’un Christ descendu de la croix,
Et priant, et pleurant, et se frappant la tête,
Confessaient leurs péchés à la voix du prophète ;
Car tu fus un prophète, un archange du ciel,
Et ton nom a dit vrai comme pour Raphaël.