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LES CONSOLATIONS.

Et quelque lierre autour, quelque mousse furtive
Qui perce le granit et festonne l’ogive ;
Et frugal, ne vivant que de fruits et de pain,
De mes coudes usant ma table de sapin,
Dans mon fauteuil de chêne aux larges clous de cuivre
J’ai rêvé de vieillir avec plus d’un vieux livre.
On fouille avec bonheur au fond de ses tiroirs :
On a d’autres recoins mystérieux et noirs
Sous l’escalier tournant, près de la cheminée,
Où jamais on ne touche ; où, depuis mainte année,
La poussière s’amasse incessamment et dort.
Ce demi-jour confus qui vient d’un corridor
Donne sur un réduit, où, dans un ordre étrange,
Mille objets de rebut, tout ce qui s’use et change,
Des papiers, des habits, un portrait effacé
Qui fut cher autrefois, un herbier commencé,
Pinceaux, flûte, poignards sur la même tablette,
Un violon perclus logé dans un squelette,
Tout ce qu’un docteur Faust entasse en son fouillis
Se retrouve, et nous rend des temps déjà vieillis.
Si parfois, de loisir, ou cherchant quelque chose,
On entre là dedans, et que l’œil s’y repose
Tirant de chaque objet un peu de souvenir,
Comme en nous le passé va vite revenir !
Comme on s’égare encore en songes diaphanes !
Comme les jours enfuis des passions profanes,
Des danses, des concerts, des querelles d’amour,
De l’étude adorée et quittée à son tour,
Jours d’inconstance aimable où la faute a des charmes,
S’éveillent en riant à nos yeux pleins de larmes !
Combien le seul aspect d’un vêtement usé
Peut rajeunir un cœur qu’on croyait épuisé !
Non, jamais dans les bois, foulant l’herbe fleurie
Un soir d’automne, on n’eut plus fraiche rêverie.