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LES CONSOLATIONS.

C’est sans doute qu’en moi la coupable nature
Aime en secret son mal, chérit sa pourriture,
Espère réveiller le vieil homme endormi,
Et qu’en croyant vouloir je ne veux qu’à demi.
Non, tout entier, je veux ; — sur mon âme apaisée
Verse d’en haut, Seigneur, ta manne et ta rosée ;
Couvre-moi de ton œil ; tends-moi la main, et rends
Le silence et le calme à mes sens murmurants.
Repétris sous tes doigts mon argile odorante ;
Que, douce comme un chant au lit d’une mourante,
Ma voix redise encor ton nom durant les nuits ;
Ainsi de moi bientôt fuiront tous les ennuis ;
Ainsi, comme autrefois, la prière et l’étude
De leurs rameaux unis cloront ma solitude ;
Ainsi, grave et pieux, loin, bien loin des humains,
Je cacherai ma vie en de secrets chemins,
Sous un bois, près des eaux ; et là, dans ma pensée,
Regardant par de la mon ivresse insensée,
Je reverrai les ans chers à mon souvenir
Comme un tableau souillé qu’on vient de rajeunir ;
Et, soit que la bonté du Maitre que j’adore,
Un matin de printemps, sur mon seuil fasse éclore
Une vierge au front pur, au doux sein velouté,
Qui me donne à cueillir les fruits de sa beauté ;
Soit que jusqu’au tombeau, pèlerin sur la terre,
J’achève sans m’asseoir ma traite solitaire ;
Que mon corps se flétrisse, avant l’âge penché,
Et que je sois puni par où j’ai trop péché,
Qu’importe, ô Dieu clément ! ta tendresse est la même ;
Tu fais tout pour le bien avec l’enfant qui t’aime ;
Tu sauves en frappant ; — tu m’auras retiré
Du profond de l’abime, et je te bénirai.


Juin 1829.