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POÉSIES


XXI


Le long de cette verte et sereine avenue,
Derrière, à droite, au fond, laissant la tour connue
Et le bois protecteur où nous venons d’errer,
Sans trop voir Saint-Mandé qui doit nous ignorer,
Tandis que devant nous la prochaine Barrière,
Bizarrement dressée en colonnes de pierre,
Annonce aux yeux la ville, et dit de loin qu’il faut,
Pauvres amants heureux, nous séparer bientôt,
Durant ces courts moments d’une plus calme ivresse,
Redoublant de lenteur sous le soleil qui baisse,
Dans ce silence ému, dans nos regards de feu,
À ton bras, Ange aimé, sais-tu quel est mon vœu ?
Mon vœu, c’est que l’allée au lent retour propice,
Ces maisons de côté que le rosier tapisse,
Ces petits seuils riants sans un œil curieux,
Ces arbres espacés où règne l’air des cieux,
Tout cela dure et gagne en longueur infinie ;
Que par l’enchantement de quelque bon Génie,
À mesure que fuit derrière abandonné
Le beau bois verdoyant, de sa tour couronné,
Abaissant à nos yeux ses colonnes d’Hercule,
L’idéale Barrière elle-même recule ;
Et nous irions ainsi sans jamais approcher !
Le soleil cependant viendrait de se coucher,
Et le soir faisant signe aux timides étoiles
Baignerait au couchant la frange de ses voiles :
Mais, sous les cieux rougis ou sous le dais du soir,
Nous, bien qu’un peu lassés, sans rien apercevoir,