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POÉSIES

Jouant, tout maladifs, en bruyantes gaietés ;
Des femmes dont le port promet qu’elles sont belles,
Mais dont l’œil et la joue et les maigreurs cruelles
Accusent le dur sort où s’appauvrit leur sang ;
La dispute parfois et le cri glapissant,
Parfois un fol éclat qui non moins me déchire,
Et là, là même aussi, l’amour et le sourire.
Ainsi, sans rien laisser, pauvres hommes, de nous,
J’arrive, en méditant, à mon bien le plus doux,
Jusqu’à la tour, encor sur pied, par où s’atteste
L’hôtel des vieux Capets dans son unique reste,
Tour aujourd’hui perdue, étouffée entre murs,
Logeant, au lieu de rois, bien des hôtes obscurs,
Des hôtes seulement de métier et de peine ;
Et c’est là qu’est la chambre où vient ma Châtelaine !…
Un boudoir au dedans, un asile embelli !

Et quand tu t’es enfuie et que tout a pâli,
Quand, mon rêve comblé, la nuit déjà tombante,
Je reviens, et reprends, d’une secrète pente,
Ce même étroit chemin de deuil et de labeur,
Que ce retour m’est cher, quoique si peu trompeur !
Comme aux plus gais sentiers il n’est rien que j’envie
Je marche en regardant et me dis : C’est la vie ?
L’avertissement grave est prompt à ressaisir,
À pénétrer un cœur attendri du plaisir.
Au sortir de ma fête et plein de mon ivresse,
Je vais me souvenant de la grande détresse
De la plupart, hélas ! — qu’il faut, pour racheter
Le plaisir, s’il a tort, aux bienfaits se hâter ;
Que, même aux plus heureux, aux plus aimants, la joie
Est courte ; que le deuil est au long de leur voie ;
Que la fidélité, dans ses charmes profonds,
Veut aussi des efforts et creuse ses sillons ;