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DE JOSEPH DELORME.

Ou bien quand, près de moi, muette, indifférente,
Elle livre au hasard sa rêverie errante,
Moi devant qui toujours elle est seule, elle est tout,
Être là comme un meuble, en silence, debout ;
N’oser, même d’un mot, ramener sa pensée,
Mais grossir lentement ma douleur amassée,
Et quand j’ai le cœur plein, sortir au désespoir,
— Sortir, — pour que peut-être elle songe, le soir,
Que je fus bien distrait, bien ennuyé près d’elle,
Pour que je lui paraisse un ami peu fidèle,
Et que, si quelque absence un jour nous séparait,
À m’oublier longtemps elle ait moins de regret ;
Vivre ainsi, se gêner, mentir à ce qu’on aime ;
Enchaîner cet aveu qui vole de lui-même ;
Mordre sa lèvre en sang, pétrifier ses yeux ;
En pâlir, en mourir,… — et sentir que c’est mieux !


II


Oh ! que son jeune cœur soit paisible et repose,
Que rien n’attriste plus ses yeux bleus obscurcis !
Pour Elle le sourire ou les larmes sans cause !
Pour moi les vrais soucis !

Pour moi le sacrifice et sa brûlante veille,
Le silence et l’ennui de ne rien exprimer,
Comme au novice amant qui croit que c’est merveille
Qu’on puisse un jour l’aimer !

Pour moi, lorsqu’en passant son frais regard m’attire
Et dit avec bonheur : Ami, ne viens-tu pas ?