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POÉSIES


X


À ELLE, QUI ÉTAIT ALLÉE ENTENDRE DES SCÈNES DE L’OPÉRA D’ORPHÉE.


Tandis que vous alliez ouïr les pleurs d’Orphée
Et que Gluck vous ouvrait son royaume infini,
Moi, j’allais égarant ma douleur étouffée,
Et, par la sombre nuit, j’errais comme un banni.

Sous un croissant moqueur qui sourit avec ruse,
Pareil au chien d’Hécate aboyant longuement,
J’allais jetant ma plainte à la cité confuse,
Et criant : Je suis seul et ne suis plus amant !

Ces pleurs que vous versiez sur la fable sacrée
Et pour une Ombre vaine évanouie au jour,
Je les ai demandés d’une lèvre altérée
Au nom d’un véritable et d’un vivant amour.

Ce que l’art vous apprend et le chant vous révèle
De ces veuves douleurs d’un cœur inconsolé,
Cet obstiné sanglot d’une plainte immortelle,
Je vous l’ai fait entendre, et n’ai rien éveillé.

En me voyant gémir, votre froide paupière
M’a refermé d’abord ce beau ciel que j’aimais.
Comme aux portes d’Enfer, à vos lèvres de pierre
Vous m’avez opposé pour premier mot : Jamais !

Oh ! ne le croyez pas que de tels mots s’oublient,
Ni que l’amitié calme y fonde ses douceurs ;