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POÉSIES

Tantôt l’onyx gravé figurait la Bacchante,
Tantôt l’épingle ouvrait son papillon d’argent[1].

Six ans entiers, six ans, sans marchander ma peine,
Comme un chien aboyant suit le croissant qui fuit,
J’ai suivi ce dur sein, cette avare fontaine,
Ce beau fruit odieux dont l’éclat m’a séduit.

Il était si facile à celle qui m’embrase
D’apaiser mon supplice et de me faire heureux ;
Il eût été si doux, dans la commune extase
De s’enivrer à temps au rameau savoureux !

Tout disait de mourir, et les molles délices
Du fruit presque échappé de son réseau brillant,
Et la langueur du soir, la blancheur des calices
Que la rose affaiblie étale en s’effeuillant.

L’automne laissait choir sa dernière corbeille ;
Toute vie était lasse et tout orgueil brisé :
Le vôtre est seul debout ; comme au matin, il veille :
Vous portiez le bonheur, vous l’avez refusé.

Mais, vengeance et retour ! et terme du martyre !
Tant et tant et si bien vous avez attendu,
Que le fruit s’est flétri : tout mon désir expire,
Madame, et je suis libre, et vous m’avez perdu.


  1. Ὅρμοι δ' ἀμφ' ἁπαλῇ δειρῇ περικαλλέες ἦσανη,
    Καλοὶ, χρύσειοι, παμποίκιλοι· ὡς δὲ σελήνη,
    Στήθεσιν ἀμφ' ἁπαλοῖσιν ἐλάμπετο, θαῦμα ἰδέσθαι.

    Homère, Hymne à Vénus.

    On demande pardon de tout ce grec ; mais l’ambition de l’éditeur, il l’avoue, serait que cette Suite de Joseph Delorme sentît quelque peu son Anthologie.