Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/201

Cette page a été validée par deux contributeurs.
191
DE JOSEPH DELORME.

Avec son grand chapeau de paille, tout en blanc ;
Son voile qui recèle un front étincelant ;
Sa joue en feu, son sein battant et hors d’haleine ;
N’osant lever les yeux, se retournant à peine
De peur d’être suivie. Oh ! que j’eusse souvent
Souhaité me montrer et courir au-devant,
Dans mes bras l’emporter, la cacher tout entière,
De son front sous ma lèvre essuyer la poussière,
Et, comme une rosée, aspirer sa sueur ;
Puis, arrivés bientôt, consoler sa frayeur !
Mais non, il faut rester ; car de quelque fenêtre,
Qui sait ? un œil malin pourrait nous reconnaître.
C’est tout, si près d’un arbre un mouchoir agité,
Si mon cri familier, par l’écho répété,
L’avertit qu’on l’attend, et de prendre courage,
Et combien de baisers la paieront sous l’ombrage.

Patience ! elle arrive ; elle est au bord du bois,
Au premier arbre, et tombe entre mes bras sans voix.

Jamais le naufragé, qui, dans la nuit obscure,
Sans espoir a lutté longtemps à l’aventure,
Et qui voit au matin le rivage approcher,
Ne s’attache si fort aux algues du rocher ;
Jamais le voyageur, qui glisse d’une cime,
Si fort ne se cramponne, en roulant vers l’abîme,
Au buisson dont la touffe a croisé son chemin,
Qu’Elle, quand de sa main elle serrait ma main ;
Et du ravin jamais, où son œil étincelle,
Le tigre n’a si fort bondi sur la gazelle,
Ni si vite rejoint ses petits altérés,
Que moi, quand j’emportais ces charmes adorés.
— Ô viens ! pourquoi pâlir ? le feuillage est bien sombre,
L’instant est calme et sûr plus que minuit dans l’ombre ;