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POÉSIES

III


Quod mihi si secum tales concedere noctes
Illa velit, vitæ longus et annus erit ;
Si dabit hæc multas, fiam immortalis in illis
Nocte una quivis vel Deus esse potest.

Properce.


Au temps de nos amours, en hiver, en décembre,
Durant deux nuits souvent enfermés dans sa chambre[1],
Sans ouvrir nos rideaux, sans lever nos verrous,
Ardents à dévorer l’absence du jaloux,
Nous avions, dans nos bras, éternisé la vie ;
Tous deux, d’une âme avide et jamais assouvie,
Redoublant nos baisers, irritant nos désirs,
Nous n’avions dit qu’un mot entre mille soupirs,
Nous n’avions fait qu’un rêve, — un rêve de chaumière,
D’âge d’or, de printemps, de paisible lumière,
De fuite ensemble au loin, d’amour au sein des bois,
D’entretiens, chaque soir, sans fin, à demi-voix :
Et tout cela confus, comme dans un nuage ;
Et dehors, cependant, la bise faisait rage,
Et la neige à flocons aux vitres s’entassait ;
Et lorsque après deux nuits le matin commençait,
Lorsque, sans plus tarder, glissant par sa croisée,
Je la laissais au lit haletante et brisée,
Et que, tout tiède encor de sa molle sueur,
L’œil encor tout voilé d’une humide lueur,

  1. .............Εἴ τις Ἐρώτων
     λάτρις, νύϰτας ἔχειν ὤφελε Κιμμερίων.

    « Quiconque est serviteur des Amours devrait avoir les nuits des Cimmériens. » Paul le Silentiaire (Anthologie palat., V, Erotica, 283).