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POÉSIES

Ce plaisir de ses yeux, son bonheur dès l’aurore ;
Tout ce qu’elle embellit et tout ce qu’elle honore,
Demain je le verrai !

Je verrai tout : déjà je sais et je devine ;
Je suis sous les berceaux sa démarche divine
Et son pas agité ;
Je l’imagine émue, en flottante ceinture,
En blonds cheveux, plus belle au sein de la nature,
Ô Reine, ô ma Beauté !

Oh ! dis, en ces moments de suave pensée,
Lorsqu’au pâle rayon dont elle est caressée
L’âme s’épanouit,
Comme ces tendres fleurs que le soleil dévore,
Que le soir attiédit, et qui n’osent éclore
Qu’aux rayons de la nuit ;

Quand loin de moi, sans crainte et plus reconnaissante,
Tu nourris de soupirs cette amitié naissante
Et ce confus amour ;
Quand sur un banc de mousse, attendrie et pâlie,
Tu tiens encor le livre et que ton œil oublie
Qu’il n’est déjà plus jour ;

Quand tu vois le passé, tous ces plaisirs factices,
Tous ces printemps perdus comparés aux délices
Qui germent dans ton cœur ;
Combien pour nous aimer nous avons de puissance,
Mais que, même aux vrais biens, le mensonge ou l’absence
Retranchent le meilleur ;

Oh ! dis, en ces moments d’abandon et de larmes,
Sens-tu tomber tes bras et se briser tes armes
Contre un amant soumis ?