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DE JOSEPH DELORME.

Vous étiez préparée entre les cœurs mortels,
Autant qu’un vase d’or pour le vin des autels,
Qu’un encensoir vermeil pour la myrrhe embrasée,
Qu’un calice entr’ouvert pour l’humide rosée.

Cependant, par hasard, dans la même maison,
Du même âge que tous, de la même saison,
Croissait et fleurissait une jeune compagne,
Qu’un noble enfant, un jour, arrivé de l’Espagne,
Vit, aima, poursuivit ardemment en chemin,
Et dont il eut bientôt le cœur avec la main :
Cet époux d’une amie était un grand poète ;
Et dès lors vous voilà, du fond de la retraite,
Initiée au prix des plus divins trésors,
Recevant un reflet des clartés du dehors,
Des plus glorieux noms respirant les prémices
Avant cette rumeur qui trouble nos délices ;
Vous voilà recueillie, et les yeux rayonnants,
Lisant leur âme à nu sur ces fronts étonnants,
— Ce qu[ils ont dû souffrir, — ce qu’un Dieu leur destine ;
Une fois vous avez entendu Lamartine ;
Pour vous rien n’est perdu dans vos jours enchainés,
Vous sentez en silence et vous vous souvenez.

Et, dans le même temps solitaire et secrète,
Toute à l’époux absent que votre cœur regrette,
Toute à l’enfant chéri qui croît sous vos baisers,
Vous contenez en vous vos désirs apaisés ;
Vous calmez d’un soupir votre âme douloureuse,
Et, triste quelquefois, vous savez être heureuse.

Heureux, heureux aussi quiconque près de vous
A vu sous ses regards luire vos yeux si doux !