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POÉSIES

Quelque fleur rare et tendre, un lis au front penché,
Un bleuâtre hyacinthe, à tous les yeux caché,
Puise à l’eau sa fraîcheur, et se mire sans peine
Dans ce fleuve aussi pur qu’une claire fontaine.

Oui, vous êtes, Madame, oui, vous êtes la fleur,
L’hyacinthe caché, dont la tiède pâleur,
Dont la tige, docile au zéphyr, fut choisie
Pour se pencher au bord du fleuve Poésie.

Ce fut hasard, bonheur, presque un jeu du destin !
Vous n’aviez pas quitté, dès votre humble matin,
La maison maternelle où la vierge s’ignore ;
L’époux qui vous y prit vous y laissait encore ;
Il partait en voyage, et vous restiez toujours
À voir ces escaliers, ces murs, ces mêmes cours,
Où vous aviez joué dans votre enfance heureuse,
Où jouait votre enfant, jeune mère rêveuse !
Ainsi pouvaient passer les saisons et les ans
Dans les devoirs soumis, dans les soins complaisants ;
Et si la Poésie, à votre seuil venue,
N’eût parlé la première à votre âme ingénue,
Jamais vous ne l’eussiez été chercher ailleurs ;
Vous n’auriez pas troublé vos jours intérieurs
Pour de lointains désirs ; car vous êtes de celles
Qui gardent dans leur sein leurs douces étincelles,
Qui cachent en marchant la trace de leurs pas.
Qui soupirent dans l’ombre et que l’on n’entend pas,
Vous eussiez toutefois été toujours la même ;
Cette âme délicate et discrète, qu’on aime,
Eût versé tout autant de parfums et d’amour
À l’enfant chaque soir, à l’époux au retour.
Mais vous n’auriez pas su ce qu’est la poésie,
Et que, pour recevoir cette vive ambroisie,