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PENSÉES

eau vive et courante, les comprend, les réfléchit ; et, lorsque le voyageur est curieux de connaître et de visiter ces sites variés, elle le prend dans une barque, elle le porte sans secousse, et lui développe successivement tout le spectacle changeant de son cours.


XVIII

Il y a dans la poésie deux formes : 1° l’une qui lui est commune avec la prose, savoir : la forme grammaticale, analogique, littéraire ; 2° l’autre qui lui est propre et plus intime que la précédente, savoir : la forme rhythmique, métrique, musicale. La forme suprême de la poésie consiste à concilier ces deux formes partielles, et à faire qu’elles subsistent l’une dans l’autre. Mais cette alliance n’est pas toujours facile, et le poëte, lorsqu’il se croit dans la nécessité de sacrifier l’une à l’autre, incline naturellement à préférer la forme poétique, proprement dite. Cela est bon jusqu’à un certain point, surtout au commencement ; pourtant, dès que le poëte est entièrement sûr du moule, et qu’il possède la forme intime et essentielle, nous oserions lui conseiller de savoir y déroger parfois dans les cas douteux, et de se laisser aller de préférence à la forme vulgaire, bien que moins rigoureuse, quand elle a d’ailleurs sur l’autre l’avantage du naturel et de la simplicité.


XIX

Qu’a été jusqu’à ce jour l’élégie en France ? Je laisse Marot, Ronsard, et, dans le siècle suivant, Pellisson et madame de La Suze. Parny a eu de son temps la réputation de Tibulle français,